Hard N'Heavy, Paris, 01. May 2003 

GOTTFRIED HELNWEIN,  REVOLUTION… AKTION !
Interview with Gottfried Helnwein
par Sophie HERVIER
 
Artiste autrichien de renommée internationale, Gottfried Helnwein partage son temps entre l’Irlande où il vit depuis cinq ans et Los Angeles où il a récemment ouvert un nouveau studio. C’est lui qui signe le visuel de The Golden Age Of Grotesque et fait ici un point passionnant sur cinquante-cinq ans de carrière.
 
HELNWEIN: A l’origine, je ne voulais pas devenir artiste parce que je pensais que ça devait être très ennuyeux. Mon rêve, comme celui de tous mes amis, était de faire du rock ! Je suis né à Vienne après la Seconde Guerre mondiale dans un environnement sinistre et désolé, peuplé par une classe moyenne dépressive. Les années 50 ont vraiment été catastrophiques en Autriche. La seule chose qui me mit du baume au cœur fut la découverte, à l’âge de six ans, d’une photo miniature d’Elvis Presley dans un paquet de chewing-gum. Je ne savais pas du tout qui c’était mais sa beauté me fascinait. Plus tard, j’ai appris que c’était un musicien et c’est comme ça que je me suis mis au rock. Après, il y a eu les Rolling Stones… A l’époque, seuls la musique et les comics m’intéressaient, je détestais toute autre forme d’art établi. Quand j’ai eu 19 ans, j’ai soudain voulu être un artiste parce que je me suis aperçu que ça permettait de jouir d’une certaine liberté, d’exprimer toutes ses opinions et d’avoir un impact sur la société. C’est pour ces raisons que je me suis mis à la peinture.
 
Y avait-il des artistes particuliers dont les œuvres t’inspiraient ?
HELNWEIN: Non. Nous étions dans les années 60 et tout le monde se rebellait. Surtout en Allemagne et en Autriche, où notre génération se sentait très différente de celle de nos parents, que nous tenions responsable de l’Holocauste. Je crois que dans toute l’histoire des pays germanophones, ce fut le plus grand décalage entre deux générations. En plus de cela, j’ai rejeté tout ce qui avait trait aux beaux-arts. Ça m’a pris énormément de temps pour me rendre compte des choses fantastiques auxquelles ils avaient donné naissance. Il n’y a que le surréalisme que je tolérais. Mais même dans ce domaine, je n’avais pas de modèle. Je peignais juste ce qui me passait par la tête.
 
Peux-tu nous en dire plus sur la naissance du mouvement Aktion durant cette période ?
HELNWEIN: Ce mouvement fut créé à Vienne à la fin des années 60/début des années 70. C’était une forme d’art constituée de performances agressives, voire violentes, destinées à briser les tabous. Certains artistes s’automutilaient et ont dû quitter le pays sous peine d’emprisonnement. Je connaissais très peu ce mouvement parce qu’il était très restreint et qu’on en parlait peu dans les médias. Mais, dans mon coin, je pratiquais simultanément la même chose en me coupant avec des lames de rasoirs ou en me recouvrant de sang. C’était une réaction à une société oppressive. Le mouvement s’est étendu à d’autres pays, comme l’Allemagne et les Etats-Unis, sous d’autres noms, mais c’est bien en Autriche que Aktion fut le plus extrême. Il a pris fin au milieu des années 70 parce que cette réaction se devait d’être spontanée. Si elle commençait à se répéter, comme au théâtre, elle perdait son sens. Un de ces artistes de l’époque pratique encore aujourd’hui l’automutilation, mais ça ressemble malheureusement plus à une plaisanterie qu’à autre chose. Quant aux autres, beaucoup se sont reconvertis dans des médias comme la peinture, le dessin ou la photographie.
 
Ton travail est particulièrement marqué par l’enfance et la mort. Y’a-t-il une raison particulière à cela ?
HELNWEIN: L’Autriche est un pays intéressant et agréable mais, plus jeune, je le trouvais oppressant, déprimant et véritablement horrible. Vienne a d’ailleurs une tradition artistique très sombre, que ce soit en matière de poésie, d’écriture ou de beaux-arts. Kafka en est un exemple. Quand je vivais là-bas, je trouvais tout noir, chaque jour crépusculaire. Le seul art auquel j’ai été exposé enfant fût celui des églises catholiques romanes. Avec ces gens cloués sur des croix, torturés, ensanglantés. C’est ce qui m’a probablement influencé.
 
 
UN NOUVEAU MOUVEMENT ARTISTIQUE
 
Comment en es-tu venu à collaborer avec Marilyn Manson ?
HELNWEIN: Je connaissais bien son travail puisque je l’ai toujours considéré comme un artiste très doué et très intelligent. J’aimais bien ses interviews et ses paroles m’ont impressionnées. Et puis mes enfants sont de grands fans de Marilyn. Un de mes fils ne rate aucun de ses concerts (rires) ! Et quand un autre l’a rencontré il y a un an à la première d’un film, il lui a offert un de mes livres, sans me prévenir ! Visiblement, Manson connaissait mon travail et fut enchanté du cadeau, qu’il cherchait depuis pas mal de temps. Il m’a téléphoné et nous nous sommes rencontrés. Nous avons commencé à travailler ensemble et ça s’est transformé en quelque chose que je n’attendais honnêtement pas. C’est une des rares fois où j’ai rencontré un autre artiste avec qui je pouvais collaborer de façon aussi naturelle et développer de nouvelles formes d’art. Notre relation est particulièrement exaltante. Je crois que le talent de Manson dépasse les frontières de la musique rock. C’est un artiste conceptuel qui a aussi un sens inné du spectacle. Et visuellement, il est incroyable ! C’est un tel bonheur de travailler ensemble que nous avons décidé de créer un nouveau mouvement artistique.
 
Qui peut, selon Manson, «changer la face de l’Art»…
HELNWEIN: On ne peut pas savoir comment tout cela va finir mais notre collaboration en a clairement le potentiel. J’ai rarement été si inspiré. Manson m’a dit avoir acheté il y a très longtemps l’album de Scorpions auquel mon autoportrait a servi de pochette (Blackout, en1982). Il n’aimait pas la musique mais l’avait juste acheté pour la photo. Alors si une image à pu toucher le jeune Marilyn Manson quelque part aux Etats-Unis, qui sait quel effet produira The Golden Age Of Grotesque sur d’autres personnes ?
 
De quelle manière avez-vous travaillé autour de l’idée de grotesque et de burlesque qui jalonne l’album ?
HELNWEIN: Je ne m’intéresse pas à ces mouvements de façon aussi précise que lui, et c’est justement ce qui créé une différence captivante. Parce que sur tout le reste, nous avons les mêmes points de vue. J’ai vraiment l’impression de le connaître depuis des milliers d’années. A dire vrai, je n’ai jamais rencontré quelqu’un dont je me sente aussi proche. Nous avons plusieurs projets en court - dont je ne peux pas dévoiler les détails - mais j’ai pris des centaines de photos de lui que nous prévoyons d’exposer à la sortie de l’album et nous travaillons aussi sur d’autres supports, comme la vidéo (Gottfried Helnwein réalisera le clip du second single extrait de The Golden Age Of Grotesque, que Manson tient à garder secret pour l’instant – ndr). Notre collaboration est très harmonieuse. C’est une co-création. Chacun a ses idées et les réalise. Et ce qui rend les choses faciles, c’est de travailler avec quelqu’un d’aussi brillant et inspiré. Marilyn Manson est l’Oscar Wilde ou le Lord Byron de notre ère. Un poète un peu dandy, extrêmement intelligent et sensible. L’Amérique devrait être fière d’avoir un artiste comme lui. Chaque société a en chaque temps les artistes qu’elle mérite. Et le véritable artiste est toujours l’opposant à une société médiocre, le défi dont elle a besoin pour ne pas geler. Marilyn Manson est un compliment fait aux Etats-Unis.
 
Un de tes tableaux les plus connus est un portrait assez effrayant de Mickey Mouse. Pourquoi as-tu décidé de reprendre l’idée en photographiant Manson de la sorte pour la pochette de l’album (qui a depuis été censurée) ?
HELNWEIN: J’ai souvent manipulé l’image de Mickey Mouse et de Donald Duck parce que j’ai toujours apprécié cette culture triviale. Les bandes dessinées font partie de mes racines et je les considère comme des œuvres à part entière. En tant qu’icône, Mickey possède différents aspects. C’est une création magnifique qui a tourné en quelque chose d’abominable. Un grand commerce, un symbole des multinationales. Et Mickey a un côté mignon finalement très artificiel quand on voit l’utilisation qui en a été faite avec Manson (rires) ! Et puis, comme Mickey est aussi un personnage connu du monde entier, c’est tentant de jouer avec.
 
 
FASCINER ET CHOQUER
 
Considères-tu, comme Manson, que l’art et le divertissement ne font qu’un ?
HELNWEIN: Oui. Chaque artiste produit dans une certaine mesure du divertissement. Le but de n’importe quelle forme d’art est de créer de la magie, de l’illusion. Que ce soit sur scène ou sur une toile, il faut fasciner, choquer, faire rire ou pleurer les gens.
 
Tu as connu de gros problèmes de censure dans les années 70. Comment trouves-tu que les mentalités ont évolué ?
HELNWEIN: Rien n’a vraiment changé. Je pense même qu’il y avait plus de liberté dans les années 70 qu’aujourd’hui. Mon travail a toujours engendré des réactions controversées, ce qui est aussi le cas de Manson. Il y a des gens qui en deviennent passionnés et d’autres qui aimeraient me brûler pour ce que je fais. La société considère l’art comme un danger parce que l’artiste est différent et repousse les limites établies. Oscar Wilde a passé deux ans en prison et a finalement dû quitter l’Angleterre pour la France, où il mourut dans la pauvreté. Enormément de grands artistes se sont exilés parce que leur œuvres étaient si intenses, si fortes et si puissantes qu’elles constituaient une menace pour la sécurité de leur pays. Certains ont eu une résonance très forte en moi, comme Antonin Artaud – qui semble également avoir eu un écho significatif chez Manson - ou Rimbaud, William Burroughs ou Charles Bukowski. Des rebelles auxquels je pourrais facilement m’identifier.
 
Aujourd’hui, te forces-tu en quelque sorte à constamment pousser tes limites et produire des œuvres provocantes ?
HELNWEIN: Non, je n’y peux vraiment rien (rires) ! Les seules idées qui me viennent à l’esprit sont des idées que les autres trouvent facilement dérangeantes. Ce n’est pas que ça me plaît mais c’est la seule chose dont je semble être capable. Réaliser quelque chose qui plaise à la société équivaudrait à un suicide pour moi. Ça voudrait dire que je rends les armes et que j’abandonne. C’est impossible à imaginer.
 
Apprécies-tu le fait d’avoir du succès de ton vivant ?
HELNWEIN: Je ne conçois pas la notion de succès. Chez moi, tout est histoire de lutte. Parfois, c’était amusant de se battre, parfois pas. Ma vie se résume à causer des problèmes aux autres qui me le rendent bien (rires) !
 
On a l’impression que depuis quelque temps, ton travail a la cote auprès des célébrités qui se déplacent en masse à tes expositions. Tu ne crains pas l’effet de mode qui entoure ta production ?
HELNWEIN: Ça ressemble peut-être à ça de l’extérieur, mais ce n’est vraiment pas le cas. Voilà presque un an que j’ai ouvert mon studio à Los Angeles et j’en suis ravi ! C’est en allant aux ventes aux enchères ou aux musées que l’on se rend compte de ce qui est à la mode. Les personnes qui se rendent à mes expositions apprécient simplement mon travail. Par exemple, Sean Penn qui n’est ni quelqu’un d’amusant ni de forcément sympathique a une vision de l’art particulière qui le conduit à s’intéresser à mes œuvres. Cela dit, c’est vrai qu’à moins d’être S.D.F., tout est hype à Los Angeles. C’est le mode de vie californien qui veut ça. Mais j’apprécie de pouvoir y créer et de rencontrer d’autres artistes avec qui collaborer. Et puis, ce qui est incroyable aussi, c’est que tout le monde se fout de tout. Il flotte à Los Angeles un esprit de liberté que je n’ai jamais ressenti dans aucune autre ville européenne.
 
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